Ce texte est une traduction re-travaillée par Ariella Aïsha Azoulay en tenant compte de l'évolution de la situation en Palestine. Publié sous sa première version sur Jadaliyya, nous avons souhaité le traduire entre juifs et musulmans du continuum colonial français. Nous remercions Jean-Baptiste Naudy éditeur chez Robotrik qui a participé à la mise en forme du texte en français. « Les ruines doivent être habitées pour pouvoir être réparées » situe la Nakba actuelle dans ses racines euro-coloniales et antisémites. Une histoire potentielle selon Ariella Aïsha Azoulay, refuse une histoire qui s'impose comme fait accomplis, sur laquelle il serait impossible de revenir.
Ce texte transgresse le champ de l'impossible. Il fait résonner une voix juive algérienne et palestinienne qui fait le récit d'une triple destruction : « celle de la Palestine, celle de la diversité des communautés juives et celle des communautés juives musulmanes de par le monde. » Si chaque fois qu'un palestinien est tué, chaque fois qu'une maison est détruite, chaque fois qu'une ville est rasée par les bombes, nous perdons des histoires sensibles, habiter les ruines des mondes détruits laisse entrevoir les potentialités libératrices contenues en chaque instant, avec l'espoir d'écrire une autre histoire, et de raviver ce qui a été perdu, ce qui a été enterré et déclaré comme inévitable : un monde commun entre juifs et musulmans, des mondes juifs autorisés à exister dans leur multiplicité, une Palestine libérée du joug du colonialisme.
Pourquoi réécrire un texte quelques semaines après l’avoir publié ?
Parce que quelque chose d’horrible se déroule en Palestine
et parce que cela nous arrive à nous aussi, une fois de plus.
Qui est ce nous ? L’humanité.
L’horreur de la Nakba se répète sur nos écrans,
directement diffusée par les victimes, qui nous envoient aussi leurs témoignages.
Nous ne savons même pas si elles sont encore vivantes
quand leurs messages nous parviennent
puisque le génocide se poursuit grâce à l’argent et aux armes
que les États-Unis et l’Europe continuent d’envoyer en Israël,
pour que se répète 1948.
Dans un de ces témoignages, un Palestinien du nom de Nizar écrit
depuis le cœur de ces crimes contre l’humanité
qui sont inscrits sur leurs corps,
« Nous nous sentons très proches de la mort ici à Gaza,
nous sentons la mort à chaque seconde. Nous sentons l’odeur de la mort partout. »
Je ne sais toujours pas si Nizar a pu protéger ses enfants après qu’il ait décrit
combien il est difficile de les regarder dans les yeux :
« On n’y voit que de la peur et des larmes, vous sentez bien
que vous n’êtes pas capable de les protéger ou de les sauver ».
Ne sachant que trop bien que les projets d’extermination des nazis
inscrits sur le corps des Juifs, des Roms, des queers et d’autres encore,
ne seraient, hélas, pas les derniers, Hannah Arendt se rendit à Jérusalem
pour assister au procès d’Eichmann, et nous en a fait un rapport détaillé
pour que nous n’oubliions jamais le principe des crimes contre l’humanité,
ces mêmes crimes que ce tribunal échoua à énoncer clairement en 1961.
Ces crimes sont inscrits sur les corps de leurs victimes.
Et dès que ces groupes racialisés sont pris pour cible
ce sont les fondements même de leurs communautés qui sont attaqués.
Ces crimes mettent la communauté en péril et saccagent sa loi.
Quelle que soit la définition de cette communauté — nation, état, village, peuple —
la loi que l’on saccage est celle de la diversité humaine.
Vider la Palestine des Palestiniennes et des Palestiniens et créer un état
pour empêcher leur retour était un crime contre l’humanité.
Les responsables, celles et ceux qui l’ont mis en œuvre,
étaient des juives et des juifs sionistes,
formés en Europe à devenir des agents coloniaux.
Dans le sillage de la Seconde Guerre mondiale
les puissances impériales euro-américaines ont confié la Palestine aux sionistes
par la voix de l’organisation internationale
qu’elles avaient créée à la fin de cette guerre pour les aider à imposer
un nouvel ordre mondial.
La Palestine est à vous, dirent-elles, en vertu du droit des Nations Unies.
Et ce faisant, elles ont désigné les Palestiniennes et les Palestiniens
comme les corps sur lesquels ces crimes contre l’humanité seraient inscrits.
Ces dernières semaines, un des lieux de mémoire de ces crimes,
Gaza, inventé en 1948 comme une « bande », un bout de territoire étroit
dans lequel deux cent mille expulsés furent entassés dans huit camps de réfugiés,
a été partiellement balayé de la surface de la terre.
Alors même que la mémoire de ces crimes
et des vies que les Palestiniennes et les Palestiniens
avaient reconstruites à Gaza est rasée,
la mémoire d’une nouvelle Nakba est inscrite, tatouée
sur les corps des descendantes et des descendants de la Nakba de 1948,
et de leurs enfants.
Et le gouvernement de l’état d’Israël, à l’unisson
avec les gouvernements occidentaux, voudrait nous faire croire
que ce génocide n’a pas lieu.
Lire la suite : LES RUINES DOIVENT ÊTRE HABITÉES POUR POUVOIR...
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Cette article est un extrait du numéro 2 de la revue, que vous pouvez commander ici
Tout d’abord, rappelons que cette marche est la vingtième du genre. Lors de la marche des suffragettes de 1913, le mouvement s’est déchiré sur la participation d’une délégation de femmes noires. Il a été décidé au final que les femmes blanches marcheraient devant, suivies des hommes blancs et à la fin de la marche des femmes noires. Bien évidemment celles-ci ont refusé ce “compromis” et ont choisi de manifester avec des groupes locaux. En 1970 il y a eu aussi une marche pour l’égalité de salaire, organisée cette fois par une militante noire Aileen Hernandez, effacée de l’histoire par Becky aka Betty Friedan qui en a retiré tout le crédit.
Algèbre politique : 1 million + 1 million + 1 million = zéro
Le 21 janvier 2017, la marche des femmes a mis plus de deux millions de personnes dans les rues aux États-Unis (il y a eu aussi des manifestations dans d’autres villes du monde, mais on ne sait trop dire si c’était contre Trump ou pour les droits des femmes). L’investiture de Trump n’est pas étrangère à ce succès numéraire, mais un autre élément est à prendre en compte : l’absence de ligne politique. Le but premier de cette marche était de faire du nombre, et pour cela il n’y a rien de mieux que “venez comme vous êtes”, le self-service politique, qui conduit à un mélange des genres qui ne peut que laisser perplexe. Nous avons pu voir des blocs radicaux et anti-impérialiste côtoyer des féministes capitalistes, pro-prisons, pro-police et libérales. La cerise sur le ghetto : Angela Davis qui fait un discours suivi quelques minutes plus tard par... Scarlett Johansson, vous savez celle qui a abandonné son poste d’ambassadrice à Oxfam pour continuer à soutenir la colonisation de la Palestine, et qui se fait passer pour une asiatique dans des films.
J'ai lu et relu la page Mission and Vision du site internet de la marche, et ce au moins une dizaine de fois, et je dois vous avouer que je n'ai pas saisi le message (politique?), ce serait faire insulte au mot, d’user du terme “revendications”. J'ai reçu le coup de grâce, avec la conclusion, une citation (merveilleuse) d'Audre Lorde mais que beaucoup aiment utiliser comme moyen de pacification et de détournement de la question du pouvoir : "Ce n'est pas nos différences qui nous divisent. C'est notre incapacité à les reconnaître, les accepter et les célébrer". On doit reconnaître un certain talent, je dirais même plus, un talent certain aux forces libérales, car réussir à trouver LA citation d'Audre Lorde, qu'on va pouvoir saucer au sel sans épices pour faire passer la pilule, c'est pas mal.
Il y a plusieurs témoignages de femmes racisées à propos des micro-agressions racistes qu’elles ont subies lors de cette marche, des femmes blanches se prenant en photos avec la police pour féliciter leur “ange-gardien”, des visuels et images s’inscrivant dans le pinkwashing (celui qui a fait le plus débat est le visuel inspiré d’une photo de Munira Ahmed prise par le photographe Ridwan Adhami), la campagne de dénigrement contre la militante palestinienne-américaine Linda Sarsour venant de la droite américaine mais aussi d’une certaine Madame Fourest dont les obsessions ne sont plus un secret. En effet la marche des femmes n’avait pas de programme politique, mais certains groupes présents sont venus marcher avec celui que leurs organisations défendent au quotidien. Le discours d’Angela Davis, reprend la majorité des revendications politiques portées par les groupes féministes avec lesquels nous nous tenons en solidarité, et dont les voix ont été noyées lors de cette marche : contre les violence domestiques et étatiques, contre l’accaparement du pouvoir et du bien être, contre l’hétéro-patriarcat, pour la justice reproductive, contre l’exploitation capitaliste, pour l’abolition de la prison, la solidarité internationale, l’anti-impérialisme et l’anti-colonialisme...
Quand on y regarde de plus près, l’impact de cette marche est proche de zéro, les manifestations sans demandes politiques et qui en plus ne perturbent pas le système - c’est à dire l’activité économique et sociale - ne restent que des démonstrations numéraires à portée limitée… bien que très exaltantes et photogéniques. Il ne faut pas s'y tromper, marcher pour les droits des femmes, n'est pas une revendication politique, surtout en contexte occidental où féminisme blanc et féminisme libéral font office de référence. La lutte pour les droits des femmes, est à la lutte contre le patriarcat, ce que la mixité sociale est à la lutte des classes. On peut y mettre le meilleur comme le pire, mais force est de constater qu'il s'agit le plus souvent du pire qui se cache derrière cette appellation pacifique et humaniste : fémonationalisme, pinkwhashing, féminisme capitaliste... Dans une approche révolutionnaire et radicale, les organisations espèrent un mouvement de masse mais cela ne peut se faire par l’abandon d’un programme politique, au contraire il s'agit de construire un programme politique et les modalités d'actions qui feront que ce programme se propage, soit compris et obtienne l'adhésion du plus grand nombre.
Nous devons assumer notre objectif politique en tant que féministes radicales et révolutionnaires : l'abolition du patriarcat, rien de plus, rien de moins.
Fania Noel
Traduction du discours d'Angela Davis à partir de sa retranscription
Alors que nous sommes dans un moment historique difficile, nous devons nous rappeler que nous sommes des centaines de milliers, des millions de femmes, de personnes trans, d’hommes et de jeunes ici à cette marche des femmes, que nous représentons les forces puissantes du changement déterminées à empêcher le retour en force de la culture agonisante du racisme et de l'hétéro-patriarcat.
Nous reconnaissons être collectivement agent·e·s de l'Histoire et que cette Histoire ne peut être effacée comme une page internet. Nous savons que nous nous réunissons cette après-midi sur des terres indigènes et nous suivons les pas des Premières Nations qui malgré une violence génocidaire considérable n’ont jamais abandonné la lutte pour la terre, l’eau, la culture et leurs peuples. Nous saluons particulièrement aujourd’hui les Sioux de Standing Rock.
Les luttes de libération noire qui ont profondément façonné l’histoire de ce pays ne peuvent être effacées d’un simple revers de main. On ne peut pas nous faire oublier que les vies noires comptent bel et bien. Les racines de ce pays se trouvent dans l’esclavage et la colonisation, ce qui signifie que pour le meilleur ou pour le pire l'histoire des États-Unis est essentiellement une histoire d’immigration et de mise en esclavage. Propager la xénophobie, lancer des accusations de meurtres et de viol et construire des murs n’effacera pas cette histoire. Aucun·e humain·e n’est illégal·e.
La lutte pour sauver la planète, pour stopper le changement climatique, pour garantir l’accès à l’eau — des terres des Sioux de Standing Rock jusqu’à Flint dans le Michigan, en passant par la bande de Gaza —, pour sauver la faune et la flore, pour sauver l’air, c’est là le point de départ de la lutte pour la justice sociale.
C’est une marche des femmes et cette marche incarne la promesse d’un féminisme contre le pouvoir pernicieux de la violence d’État, d’un féminisme inclusif et intersectionnel qui nous appelle toutes et tous à nous réunir dans la résistance au racisme, à l’islamophobie, à l’antisémitisme, à la misogynie, à l’exploitation capitaliste.
Oui, nous saluons le combat pour les 15$ [NDLR : pour un SMIC horaire à 15$]. Nous nous engageons dans la résistance collective. Dans la résistance contre les propriétaires milliardaires profiteurs et gentrificateurs. Dans la résistance contre la privatisation de la couverture médicale. Dans la résistance contre les attaques à l’encontre des musulman·e·s et des migrant·e·s. Dans la résistance contre les attaques faites aux personnes handicapées. Dans la résistance contre la violence d’État perpétrée par la police ainsi qu’à travers le complexe industriel de la prison. Dans la résistance contre les violences genrées tant dans les institutions que dans la sphère privée, en particulier contre les femmes trans racisées.
Les droits des femmes sont des droits humains à défendre partout dans le monde, et c’est pour ça que l’on dit justice et liberté pour la Palestine. Nous célébrons la libération prochaine de Chelsea Manning et d’Oscar López Rivera. Mais nous disons aussi liberté pour Leonard Peltier. Liberté pour Mumia Abu-Jamal. Liberté pour Assata Shakur.
Dans les mois et années à venir, nous allons devoir intensifier nos revendications pour la justice sociale en devenant plus militant·e·s dans notre défense des populations vulnérables. Ceux et celles qui défendent la suprématie hétéro-patriarcale de l’homme blanc feraient mieux de prendre garde.
Les prochains 1 459 jours de l’administration Trump seront 1 459 jours de résistance : résistance sur le terrain, résistance dans les salles de classe, résistance au travail, résistance dans notre art et notre musique.
Ceci n’est que le début, et comme le disait l’inimitable Ella Baker : “Nous qui croyons en la liberté ne pouvons nous reposer avant qu’elle n’advienne.”
Merci
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#5 - TRANSMETTRE
#4 - UTOPIES
#3 - URGENCES
#2 - LUTTER
#1 - L' ÉTAU
Aux musulmanEs du monde entier et notamment en France
En ce début de Ramadan 1436 (2015), nous avons une pensée particulière pour toutes celles et ceux qui sont :
- dans des pays en guerre, causées notamment par l'impérialisme des pays du Nord
- qui sont exterminés dans l'indifférence de l'opinion publique occidentale dont l'indignation est à géométrie variable
- qui vivent en Occident et sont particulièrement exposéEs à la violence islamophobe, et plus généralement raciste, dans leur travail, leur université, leur école, leur quartier, le milieu "militant", et dans leur famille parfois aussi
- qui ont perdu des êtres chers cette année, Allah Y Rahmoum, quelles que soient les circonstances
- qui sont incarcéréEs
- qui ont le corps fatigué par la maladie, l'usure, la pénibilité de la vie, du travail
- qui subissent des violences quelles qu'elles soient (raciste, sexiste, handiphobe etc) dans leur famille et entourage, sans avoir les moyens pour se défendre
- qui sont isoléEs, quelles que soient les raisons
- qui manquent d'argent, ne mangent pas à leur faim
A touTEs nous souhaitons inshaAllah que ce mois soit l'occasion de trouver le réconfort et les aides matérielles et spirituelles dont vous avez besoin.
Nous souhaitons aussi inshaAllah sortir de ce mois béni avec :
- toujours plus de désir de justice, d'égalité
- plus de clairvoyance sur les enjeux de luttes à mener en France et en soutien à des luttes à l'international quand nous le pouvons
- plus d'unité, malgré nos différences doctrinales, politiques et stratégiques, mais aussi ethniques, nationales et culturelles, dans le combat contre l'islamophobie
- plus de force pour affronter la France (néo)coloniale, bourgeoise et patriarcale qui torpille des vies
- et bien sûr plus de spiritualité, de foi, de paix dans les sentiers d'Allah.
De la France à la Birmanie, de la Centrafrique à l'Irak, du Mali à la Palestine, du Pakistan à la Syrie et sur toutes les terres où nous nous trouvons, nous disons :
Ramadan Mubarak !
Des musulmanEs d'AssiégéEs